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Après les grands succès Les feluettes (2016) et La Beauté du monde (2022), le dramaturge québécois Michel Marc Bouchard récidive en signant le livret de La Reine-garçon, une adaptation de sa pièce de théâtre, Christine, la reine-garçon. Il retrouve ainsi son complice, le compositeur Julien Bilodeau, avec qui la chimie est incontestable. Venez entendre de grandes voix d’ici dont celle de Joyce El-Khoury et Etienne Dupuis, dans une mise en scène d’Angela Konrad (Yourcenar, une île de passions – 2022).

NUL BESOIN DE TRÔNE LORSQU’ON SE TIENT DEBOUT.

Christine, reine de Suède, gouverne un peuple qui sort tout juste de la longue guerre de Trente Ans. Alors que de grandes réflexions philosophiques et scientifiques émergent partout en Europe, la reine Christine, élevée comme un garçon par son père, cherche à mieux comprendre la noirceur qui l’habite. Amour, convictions, devoir : comment faire la part des choses?

Le château d’Uppsala, 1649. La reine Christine, plus mâle que ses hommes de guerre, plus érudite que ses savants, fait venir dans son royaume René Descartes afin qu’il lui enseigne le mécanisme des passions qui habitent l’âme. Tiraillée entre le masculin et le féminin, entre foi et savoir, entre son amour pour une femme et l’État qui exige un héritier, elle cherche la vérité, sa vérité – en dépit de la rapacité des nobles, de l’ardeur des prétendants, de la folie de sa mère et, surtout, en dépit des fulgurances de ses propres passions.

C’est la première fois qu’ils travaillent ensemble et pourtant, leur complicité saute aux yeux. Au fil de la conversation, ils se relaient, se relancent, complètent les propos et les réflexions de l’autre. On se changerait volontiers en petit oiseau pour capter tous leurs échanges au sujet de l’art. Ils nous en livrent ici une bribe, en lien avec leur travail sur la prochaine production de l’Opéra de Montréal.

Voici Michel Marc Bouchard, dramaturge et librettiste, et Angela Konrad, metteure en scène, réunis pour La Reine-garçon.

UNE UNION ARTISTIQUE NATURELLE

Artistiquement, l’admiration qu’ils se vouent l’un à l’autre est évidente. « Une des premières pièces de théâtre que j’ai vu en arrivant à Montréal, c’est Tom à la ferme de Michel Marc. Il a marqué mon arrivée ici », se remémore la metteure en scène d’origine allemande. « On n’a jamais travaillé ensemble, mais c’est tout comme!», s’exclame l’auteur. « C’est vrai qu’il y a une complicité naturelle entre nous. »

C’est d’ailleurs l’auteur qui suggère le nom de sa collègue lorsque vient le temps de compléter l’équipe de création pour l’adaptation de sa pièce théâtrale Christine, la reine-garçon à l’opéra. « Elle est parfaite pour l’œuvre. Non seulement j’aime beaucoup son travail, mais je sens une sensibilité particulière entre elle et le personnage de Christine. C’est formidable quand le projet devient le prolongement de l’individu. »

D’UN MÉDIUM À L’AUTRE

Les deux artistes très bien établis dans le milieu théâtral n’en sont pas à leurs premières armes dans le monde lyrique. Pour Michel Marc, il s’agit de l’écriture d’un troisième livret après Les Feluettes en 2016 (également adapté d’une de ses pièces) et La Beauté du monde en 2022. Angela, pour sa part, met en scène le personnage historique de Christine, reine de Suède, après s’être penchée sur l’écrivaine Marguerite Yourcenar en 2022.

Qu’est-ce qui leur a donné envie de récidiver après avoir goûté aux coulisses de l’art lyrique? « Je trouve qu’à l’opéra, il y a quelque chose de plus grand que nous », explique l’auteur. « Quand ça commence, j’oublie totalement que c’est moi qui ai écrit ça. La part d’écriture du compositeur et du metteur en scène ou de la metteure en scène est énorme, alors il y a toute une part d’inconnu pour moi qui me séduit et me ravit. »

« La force émotionnelle véhiculée par la musique et par la virtuosité des interprètes apporte quelque chose de l’ordre de l’excès et de la démesure qui dépasse le mode dramatique théâtral », ajoute Angela. « La musique de l’opéra porte une dimension surhumaine et surnaturelle. »

APPRIVOISER LE TEMPS ET LA STRUCTURE

Pour la metteure en scène habituée à construire l’architecture de ses pièces à partir de son travail avec les acteurs et les actrices, une des grandes différences à l’opéra se situe au niveau de la gestion du temps.

« Au théâtre, le vivant crée la machine alors qu’à l’opéra, le vivant s’intègre à la machine. Je rencontre les solistes très tard dans le processus, il y a donc tout un travail de préconception à faire d’abord. Je dois rapidement prendre des décisions et mettre en place un premier dessin. Parfois, on a des surprises : on a beau travailler à partir de la partition, le vivant génère quand même des dynamiques qu’on ne perçoit pas sur papier. On se laisse traverser par ce qui arrive en salle de répétition et on a peu de temps pour jongler avec tout ça. C’est à la fois le danger et la beauté de la chose. »

ENTRE RAISON ET PASSION : LE BERCEAU DE LA MODERNITÉ

Dans le récit historique, la reine Christine, tiraillée entre sa raison et son cœur épris de passion pour sa première dame de compagnie, tente d’éclairer les remous de son esprit. Comment cette histoire sise au XVIIe siècle peut-elle résonner si fort aujourd’hui?

Pour l’auteur, «il y a quelque chose dans les volontés de modernité chez Christine qui sont très contemporaines. Elle parle de choses que toute nation devrait revendiquer : la curiosité, le savoir, l’art, l’éducation. » « Il y a aussi Descartes dans le tableau », renchérit Angela. « Christine pose toutes les questions que pose Descartes, elle l’incarne, elle le vit. Suis-je le sujet de mes actions, de mon désir? De ma vie, de mon destin? C’est l’arrivée d’un “je” universel qui incarne la question de l’action et de l’intention. Tout est là. C’est le berceau de la modernité. »

Qu’est-ce que l’amour? Et comment l’éradiquer? « Les tourments qu’elle ressent face à son sentiment amoureux ne sont pas dus aux contraintes politiques ou aux mœurs de l’époque, mais au fait que l’amour est quelque chose qui lui échappe dans sa quête de libre arbitre », ajoute l’auteur.

Tournant le dos à une société sclérosée, l’héroïne choisira la richesse de l’esprit. « Et ça, c’est très, très fort », affirme la metteure en scène. « Ce sont des valeurs universelles, qui dépassent les enjeux d’actualité. Elles sont de tout lieu et de toute époque. »

Un destin qui résonnera à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts les 3, 6, 8 et 11 février prochain. « Avec une distribution en or », se réjouit celui qui a porté Christine au théâtre, au cinéma, puis maintenant à l’opéra.

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